“Un grand changement s’annonce. C’est le signe de la renaissance de la Pologne”. Ces mots enthousiastes tenus dimanche 1er octobre à Varsovie sont de Donald Tusk, ancien Premier ministre du pays (2007-2014) et chef de file du bloc centriste Coalition civique (KO). À l’occasion de ce rassemblement contre le pouvoir organisé à l’initiative de l’opposition, il s’est également félicité que “plus d’un million de personnes” aient répondu à l’appel.
“La plus grande manifestation politique dans l’histoire de la Pologne”, a ajouté Donald Tusk. Un moment d’histoire qui tombe à point nommé pour celui qui entend incarner de nouveau l’alternative aux prochaines législatives qui ont lieu le 15 octobre.
À 66 ans, ce routard de la politique polonaise, et ancien président du Conseil européen, ne le cache pas : il ambitionne de faire chuter le parti populiste nationaliste, Droit et Justice (PiS), et son chef de file Jaroslaw Kaczynski – avec lequel il est en duel politique depuis presque vingt ans. Devant une foule acquise à sa cause, il a d’ailleurs déclaré : “La Pologne mérite mieux, je suis même convaincu que la Pologne mérite le meilleur”, ou encore “Nous sommes ici pour gagner”.
Et pour arriver à ses fins, celui qui est revenu à la tête du parti de centre droit Plateforme civique (PO) n’hésite pas à mettre en avant son expérience politique sur la scène nationale et européenne pour s’inscrire aux antipodes du PiS.
Fin de règne des “jumeaux” Kaczynski
Né le 22 avril 1957 à Gdansk, il est élu député à l’âge de 34 ans (en 1991) et contribue à la fondation du parti Union de la liberté (UW) trois ans plus tard. Élu sénateur sous cette étiquette en 1997, il quitte finalement l’UW en 2000 et devient l’un des fondateurs du parti de la Plateforme civique (PO) en 2001.
À cette ascension fulgurante s’ajoutent deux nominations en tant que vice-président du Sénat, puis de vice-président de la Diète – équivalent de l’assemblée nationale polonaise. Donald Tusk est, dans la foulée, logiquement candidat à la présidentielle de 2005, mais s’incline au second tour face à Lech Kaczynski. Il tient sa revanche aux législatives de 2007 en faisant tomber le PiS dirigé par l’autre frère Kaczynski (Jaroslaw).
Donald Tusk reste celui qui a mis fin “au règne des ‘jumeaux’ (Kaczynski), marqué par une période de très fortes tensions avec le reste de l’UE”, rappelle le journal belge L’Écho. Le candidat libéral de centre droit – aussi inspiré et soutenu par le syndicaliste historique Lech Walesa – succède alors à “une droite étatiste et populiste, germanophobe et anti-européenne”.
Il devient alors Premier ministre de Pologne et demeure à ce jour celui à avoir occupé le plus longtemps ce poste (sept ans, de 2007 à 2014) depuis la chute du communisme dans le pays, en 1989. Durant ces années-là, il doit notamment gérer la crise financière de 2008 et parvient à éviter une récession dans son pays contrairement à la plupart des États membres de l’UE.
Européiste convaincu et “personnalité clivante”
“Il a réussi à ce que la Pologne évite la crise, mais beaucoup de mesures d’austérité l’ont aussi rendu assez impopulaire auprès de certaines couches de la population”, nuance auprès de RFI Adrien Beauduin, journaliste indépendant, et doctorant en politique tchèque et polonaise à l’université d’Europe centrale.
Partisan de l’orthodoxie budgétaire, Donald Tusk a aussi toujours été un européiste convaincu. C’est dans sa ville natale qu’il a nourri ses convictions européennes, déclarant au sujet de Gdansk : “La cité s’est patiemment construite au cours des siècles, avec les Polonais, les Allemands, les Juifs, les Écossais et les Français […]. Pourtant, quelques jours ont suffi à Hitler et à Staline pour l’incendier et la mettre à terre.” D’où, entre autres raisons, l’importance de l’UE aux yeux de celui qui est aussi historien de formation.
Depuis le retour au pouvoir du PiS en 2015, Varsovie est régulièrement en conflit ouvert avec l’UE à propos des questions relatives au respect de l’État de droit – que ce soit pour sa réforme controversée de la justice, en 2019, mais aussi pour des atteintes à la liberté de la presse ou aux droits des personnes LGBT.
Donald Tusk dispose d’un solide pedigree politique à mettre en avant pour ramener son pays dans le giron européen. Membre du Parti populaire européen (PPE), il reçoit le prix Charlemagne pour sa contribution à l’unification européenne des mains d’Angela Merkel en 2010. Puis, de 2014 à 2019, il est nommé pour deux mandats consécutifs comme président du Conseil européen.
Il montre alors à plusieurs reprises qu’il n’a pas sa langue dans sa poche, que ce soit pour critiquer Donald Trump – ce qui lui vaudra le surnom de “notre Donald” par ses homologues européens – ou le Brexit du Royaume-Uni – dont les partisans auraient “une place spéciale en enfer”, selon Donald Tusk.
Ce passif à la tête d’une institution européenne semble être un argument de taille pour le candidat de centre droit avant les prochaines législatives en Pologne. Mais tous les partis d’opposition ne sont pas parvenus à une union, principalement à cause de “la personnalité clivante et au bilan” politique de Donald Tusk, explique auprès du Monde le politologue et historien Antoni Dudek.
Les sondages réalisés à un mois du scrutin donnaient la Coalition civique en seconde position (aux alentours de 30 % d’intentions de vote, en hausse par rapport à 2019) derrière le PiS (aux alentours de 40 %, en baisse par rapport à 2019). S’il n’obtient pas de majorité absolue, le parti populiste nationaliste pourrait être tenté de faire alliance avec le parti d’extrême droite Confédération – donné en progression au prochain scrutin.