Largement dépendante des hydrocarbures russes avant l’invasion de l’Ukraine, l’Europe a réduit drastiquement ses importations d’hydrocarbures russes pour se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement. L’Union européenne peut-elle vraiment s’affranchir de la Russie en matière d’énergie ? La Tribune fait le point en quatre questions.
Le 8 mars 2022, deux semaines seulement après le déclenchement du conflit en Ukraine le 24 février, la Commission européenne fixait un nouveau cap stratégique majeur pour l’UE en matière d’énergie. « Nous devons assurer notre indépendance vis-à-vis du pétrole, du charbon et du gaz russes ». Une équation extrêmement complexe si l’on songe que l’UE était le premier acheteur de gaz russe avec, en 2021, près de 45% de ses importations du gaz naturel qui provenaient de Russie, et que Moscou était le premier fournisseur en pétrole de l’UE, « loin devant le deuxième, qui était les États-Unis en 2020 et la Norvège en 2021 », d’après Eurostat. Un an après le début de l’invasion en Ukraine et alors qu’un dixième train de sanctions contre Moscou devrait être prochainement annoncé, La Tribune fait le point en quatre questions sur la stratégie européenne pour s’affranchir des hydrocarbures russes.
Un an après, l’UE importe-t-elle encore des hydrocarbures russes ?
En réponse au conflit déclenché par la Russie aux portes de l’Europe, l’Union européenne a rapidement adopté plusieurs séries de sanctions contre le secteur énergétique russe. Les Vingt-Sept ont ainsi instauré un embargo sur le charbon russe qui représentait pourtant 45% de ses importations. Décidé le 8 avril dans le cadre d’une cinquième salve de sanctions contre Moscou, cette interdiction est entrée en vigueur début août en même temps que la fermeture des ports européens aux navires russes.
Le 5 décembre, l’UE a également voté un premier embargo sur le pétrole brut russe auquel s’est ajouté un plafond du prix à 60 dollars le baril. Un même mécanisme a été approuvé le 5 janvier dernier concernant les produits pétroliers raffinés.
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Concernant le gaz, l’Union européenne, très dépendante des exportations russes, n’a instauré aucune restriction officielle, tout en appelant les Etats membres à réduire leur dépendance. Un effort qui s’est finalement imposé à l’ensemble de l’Europe. En représailles aux sanctions occidentales, la Russie a progressivement réduit le flux de gaz transitant via les gazoducs Nord Stream 1 et 2 vers l’Europe jusqu’à y mettre totalement fin à la fin de l’été. Selon une étude réalisée par la Fédération Les Amis de la Terre, les ONG Oil Change International et Food Water Action Europe, les importations de gaz russe par gazoduc ne représentaient plus que 11% des importations de gaz européennes au troisième trimestre 2022, contre 40 % à la même période en 2021. Une faible partie transite, en effet, encore par le gazoduc Brotherhood qui traverse l’Ukraine afin d’alimenter principalement la Hongrie et l’Autriche, très dépendantes de l’hydrocarbure russe.
En outre, les Vingt-Sept se sont accordés, le 19 décembre dernier, sur un mécanisme permettant de plafonner les prix de gros du gaz dès qu’ils dépasseront 180 euros le mégawattheure (MWh) pendant trois jours consécutifs. De quoi protéger les ménages et entreprises européennes face à la forte volatilité des prix qui a marqué ces deux dernières années.
Comment l’UE a-t-elle compensé ?
Forcée de se couper d’une large partie du gaz russe transitant par gazoduc, l’Europe s’est tournée vers le gaz naturel liquéfié (GNL). Au total, l’UE a importé 155 milliards de m3 de GNL en 2022, soit 60% de plus qu’en 2021. L’objectif : remplir les stocks de gaz, en particulier dans le cas de très basses températures. L’une des solutions a donc été de renforcer les importations de GNL auprès des Etats-Unis qui sont devenus le premier fournisseur de l’UE avec une hausse de 143% par rapport à 2021, selon un rapport du groupe de réflexion IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis) publié le 11 janvier dernier. A eux seuls, les États-Unis ont fourni plus de la moitié des importations de GNL des Vingt-Sept.
Mais les Etats-Unis ne sont pas la seule source d’approvisionnement de l’Europe. Paradoxalement, la Russie se plaçait au troisième rang de ses fournisseurs en 2022. Ainsi, sur les neuf premiers mois de l’année, les importations européennes de GNL russe ont augmenté de 21%, à 15,5 milliards de m3, par rapport à la même période de 2021, selon les estimations de Montel, un cabinet norvégien spécialisé dans les marchés de l’énergie, basées sur les données du trafic des méthaniers recueillies par le cabinet Kpler. Parmi les pays européens qui ont le plus importé de GNL russe figuraient la France, pour un tiers et l’Espagne pour un quart, ces deux pays étant dotés des plus importants terminaux de regazéification, le restant allant vers les Pays-Bas et la Belgique. Car la quantité fournie par les Etats-Unis, où certaines voix se lèvent appelant à limiter les exportations afin de pouvoir compter sur le gaz américain dans la transition écologique du pays, ne suffit pas encore pour alimenter totalement l’Europe. Elle peut toutefois également compter sur le Qatar devenu sa deuxième source d’approvisionnement en GNL (+23% en 2022).
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Si l’hiver s’est bien passé, les Vingt-Sept regardent d’ores et déjà avec inquiétude la campagne de remplissage des stocks de gaz pour l’hiver 2023-2024. Celle-ci pourrait, en effet, se révéler plus difficile que la précédente pour laquelle l’Europe avait pu bénéficier de la baisse de la demande asiatique, notamment de la Chine, dont l’activité avait ralenti en raison des confinements stricts de la politique « zéro Covid ». Si le géant asiatique renouait avec la croissance en 2023, les méthaniers de GNL reprendront les routes asiatiques, avec pour conséquence de réduire l’offre pour les pays européens.
Quand l’Europe pourra-t-elle se passer totalement des l’énergie russe ?
De quoi pousser davantage l’Europe à se détacher totalement des hydrocarbures russes dans les années à venir. C’est dans cette optique que la Commission européenne a annoncé le plan REPowerEU en octobre dernier avec l’objectif « de réduire la dépendance de l’UE au gaz russe de deux tiers avant la fin de l’année, et de 100% à compter de 2027 ». Basé sur trois piliers, il prévoit de « diversifier l’approvisionnement en gaz, accélérer massivement le déploiement des énergies renouvelables et [de] faire d’importantes économies d’énergie ».
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Dans le détail, l’UE entend importer 50 milliards de m3 supplémentaires de GNL auprès du Qatar, des Etats-Unis, de l’Egypte et de l’Afrique de l’Ouest. Plusieurs projets ont, en effet, été amorcés ces derniers mois. L’Allemagne s’est, par exemple, tournée vers le Sénégal. « Nous sommes prêts, nous Sénégal en tout cas, à travailler dans une perspective d’alimenter le marché européen en GNL », avait d’ailleurs assuré le président sénégalais, Macky Sall, en mai 2022 lors d’une conférence de presse conjointe avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, à Dakar. En septembre dernier, le Nigeria a, lui, promis de plus grandes quantités de GNL à l’Europe, annonçant une « décision finale » d’investissement à venir au sujet d’un nouveau gazoduc de 10 milliards de dollars prévu à cet effet et qui passera par le Niger et l’Algérie.
« Le marché est tendu, certes, mais, à horizon lointain, on peut trouver quand même beaucoup d’hydrocarbures, indique Jacques Percebois, professeur émérite à l’Université de Montpellier. Le goulot d’étranglement ce n’est pas tant la quantité que le prix et, parfois, le transport ».
Car pour importer du GNL, encore faut-il disposer des infrastructures nécessaires et les projets se sont multipliés en 2022 en Europe. L’Allemagne qui ne possédaient aucun terminal méthanier est ainsi parvenue à en inaugurer trois en moins d’un mois. Quatre autres sont également prévus.
Concernant les énergies renouvelables, la Commission européenne mise sur le biométhane « en tant que gaz du futur » et qu’elle entend développer « à grande échelle ». « La production de biométhane pourrait atteindre 35 milliards de m3 par an d’ici 2030 », assurait-elle en octobre. L’institution prévoit également de renforcer la production d’hydrogène avec « l’initiative “Accélérateur hydrogène” qui permettrait de remplacer entre 25 et 50 milliards de m3 de gaz russe d’ici 2030 ».
Reste qu’il est parfois difficile de savoir avec exactitude la provenance de certains hydrocarbures, notamment le GNL et le pétrole, lorsqu’ils sont acheminés par bateaux, pointe Jacques Percebois. « Il y a une certaine opacité sur le marché international pour certains hydrocarbures. Il existe des sociétés écrans qui compliquent la traçabilité de certains produits », explique-t-il. Sans compter que certains gros groupes énergétiques européens ont passé ces dernières années des investissements sur du long terme et ont donc des contrats encore en cours qu’il est difficile d’arrêter subitement, ajoute le professeur.
Quel impact pour la Russie ?
Si les Européens tentent de se libérer de leur dépendance aux hydrocarbures venus de Russie, cette dernière est, elle, parvenue à se diversifier pour assurer ses revenus. Elle a, d’une part, accru ses livraisons de GNL : environ 21 milliards de m3 ont ainsi été livrés en 2022, un chiffre en hausse par rapport à 2021. D’autre part, Moscou s’est efforcé d’augmenter ses livraisons de gaz à la Chine dont l’économie est très consommatrice d’énergie. Fin décembre, Vladimir Poutine a, d’ailleurs, lancé l’exploitation d’un vaste gisement situé en Sibérie qui doit permettre d’augmenter ses exportations. La Russie prévoit également la construction dès 2024 du gazoduc Force de Sibérie 2 pour alimenter Pékin via la Mongolie. Début janvier, le directeur général de Gazprom, Alexaï Miller, expliquait que « les perspectives d’une hausse de la consommation de gaz dans le monde sont liées principalement à l’Asie, et, en premier lieu, à la Chine », affirmant qu’en 2022 les livraisons à Pékin avaient dépassé, « à la demande de la Chine », les quantités prévues dans les contrats. Avec le renforcement du gazoduc Force de Sibérie
Source : La Tribune