L’éjection du pays d’Horizon Europe menace la présence du continent dans les industries futures, déclare Tristan Maillard
Depuis mai 2021, la Suisse n’est plus associée au programme de recherche et d’innovation Horizon Europe de l’UE. Pour les chercheurs, cela signifie être exclu du Conseil européen de la recherche et ne plus pouvoir mener de projets collaboratifs. Pour les entreprises suisses, cela signifie se voir refuser l’accès au Conseil européen de l’innovation, voire à des marchés stratégiques comme l’infrastructure de communication quantique.
En réponse, le gouvernement suisse a mis en place plusieurs mesures. Par exemple, la participation à des projets collaboratifs avec des partenaires de l’UE est toujours possible, grâce au financement direct des institutions de recherche suisses. L’agence nationale d’aide à l’innovation, Innosuisse, a mis à disposition des startups des financements équivalents.
A l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), nous surveillons l’impact des décisions politiques et rendons publiques nos analyses dans un souci de transparence. Nous avons estimé que la fin des liens de recherche entre l’UE et la Suisse mettait directement en danger 600 emplois à l’institut, principalement des doctorants, des post-doctorants et des techniciens. Heureusement, les mesures transitoires ont, pour la plupart, permis de retarder l’impact direct de la non-association à Horizon sur les universités et les entreprises ; par exemple, l’EPFL a pu maintenir temporairement son niveau de financement de projets européens. Jusqu’à présent, aucun licenciement n’a été nécessaire.
Mais l’association n’est pas qu’une question d’argent. Plus important encore, il s’agit d’une culture commune et de la capacité du continent à construire une prospérité commune.
Sur ce front, les nouvelles sont mauvaises. Le monitoring de l’EPFL montre que le nombre de collaborations avec des partenaires de l’UE a diminué. Les chercheurs de l’institut sont de moins en moins invités à rejoindre les réseaux européens, même si le financement de la branche suisse de la collaboration est assuré. En 2022, il y a eu une baisse de 20% des projets collaboratifs soumis à Horizon Europe avec la participation de l’EPFL.
De partenaire à concurrent
La science est profondément collaborative. C’est l’un des domaines qui crée les liens les plus forts entre les personnes de différents pays ; on parle souvent d’une communauté de chercheurs qui transcende les frontières. Les pays européens l’ont compris en 1954 lorsqu’ils ont créé le laboratoire de recherche nucléaire, le Cern.
En travaillant ensemble, les connaissances se créent plus rapidement. À une époque de défis mondiaux, le déclin de la collaboration est inquiétant.
Mais les programmes européens ne se limitent pas à la création de connaissances. La science est un élément essentiel de l’écosystème de l’innovation et, en définitive, de la prospérité de l’Europe.
Aussi inquiétant que la chute des collaborations, est donc notre constat qu’en 2022, la Commission européenne a refusé de financer au moins deux projets Horizon Europe pour les technologies quantiques qui incluaient des chercheurs de l’EPFL. Selon la Commission, la présence d’un partenaire suisse aurait mis en danger « l’autonomie stratégique de l’Europe ».
Là où il y a des intérêts économiques, il y a de la concurrence. Le rejet de ces projets montre qu’aux yeux de la Commission, la Suisse passe de partenaire à concurrent.
Mais la Suisse représente-t-elle vraiment un risque pour l’UE dans les technologies stratégiques comme le quantique ? L’Europe ne se trompe-t-elle pas ici de cible ?
Il y a une course mondiale aux technologies quantiques qui est contestée par des poids lourds de la technologie dans les secteurs public et privé. Le gagnant peut tout emporter.
Aux États-Unis, la société mère de Google, Alphabet, a annoncé des plans pour un ordinateur quantique commercial d’ici 2029 ; Microsoft, Amazon et IBM investissent massivement dans ces technologies. La Chine dépense l’équivalent de 10 milliards de dollars (9 milliards d’euros) pour créer un centre national des technologies quantiques, entre autres initiatives.
L’Europe a une carte forte à jouer dans la science quantique si elle la joue avec la Suisse. Une étude récente du Secrétariat d’État suisse à la formation, à la recherche et à l’innovation montre que les quatre pays les plus influents en matière de recherche quantique fondamentale sont la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche et le Royaume-Uni.
Des entreprises suisses comme ID Quantique et Ligentec développent des technologies uniques qui maintiendraient l’Europe à la pointe de l’innovation industrielle. Séparer la recherche et l’innovation quantiques de la Suisse des efforts européens plus larges affaiblirait le continent dans ce domaine.
La décision de ne pas associer la Suisse aux programmes européens découle de désaccords politiques majeurs entre l’UE et la Suisse sur le marché unique, la souveraineté et la protection des salaires. Face à de telles préoccupations, la perte des liens de recherche pourrait être considérée comme une blessure mineure. Mais ce qui est en jeu, c’est la pérennité de la présence européenne dans les industries d’avenir.
Le continent a raté le tournant de la digitalisation, si bien que les entreprises américaines dominent. Ne ratons pas le prochain tournant.
Source: Research Professional News