Sunday, September 8, 2024
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L’inscription sur la liste du patrimoine en péril de l’Unesco, soutien ou disgrâce ?

En péril, les bâtiments monastiques de Kiev et le centre de Lviv. “Menacés de destruction” du fait de l’invasion russe, ces sites ont intégré, vendredi 15 septembre, la liste du patrimoine de l’humanité en péril de l’Unesco, à l’occasion de la 45e session du Comité du patrimoine mondial à Riyad (Arabie saoudite). Une inscription à laquelle a de nouveau échappé la ville de Venise, menacée, elle, par le réchauffement climatique et le surtourisme.

Aujourd’hui, cette liste recense 56 sites, du minaret et des vestiges archéologiques de Djam, en Afghanistan, à la ville historique de Zabid, au Yémen.

Fragilisés par les conflits armés et la guerre, les séismes et autres catastrophes naturelles, mais aussi la pollution, le braconnage, l’urbanisation sauvage ou le développement incontrôlé du tourisme, ces lieux font l’objet d’une attention particulière.

Leur inscription sur la liste du patrimoine mondial en péril permet notamment au Comité du patrimoine mondial, qui se réunit chaque année, d’accorder immédiatement aux biens menacés une assistance dans le cadre du Fonds du patrimoine mondial.

La guerre et le réchauffement climatique, des critères de “mise en péril”

Dans le cas des sites ukrainiens, les 21 représentants d’États composant le Comité du patrimoine mondial ont jugé l’inclusion nécessaire. La cathédrale Sainte-Sophie et les bâtiments monastiques associés, la Laure des Grottes de Kiev, important monastère orthodoxe, ainsi que l’ensemble du centre historique de la ville de Lviv font ainsi leur entrée sur la liste du patrimoine mondial en péril.

“Les conditions optimales ne sont plus réunies pour garantir pleinement la protection de la valeur universelle exceptionnelle du bien, menacé par un danger potentiel dû à la guerre”, explique l’Unesco, dont le siège est à Paris. “Face au risque d’attaque directe, ces sites sont également vulnérables aux ondes de choc provoquées par les bombardements des deux villes”, indique le communiqué de l’organisation.

Selon la Convention de 1972, un bien du patrimoine mondial peut être inscrit sur la Liste du patrimoine mondial en péril si le comité juge que sa situation correspond au moins à l’un des critères décrits dans les “Orientations”, un document permettant de guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial.

Les sites en danger, naturels ou culturels, peuvent ainsi être en situation de “péril prouvé”, quand il s’agit de menaces imminentes spécifiques et établies, ou en situation de “mise en péril”, dès lors qu’ils sont confrontés à des menaces qui pourraient avoir des effets nuisibles sur leur valeur de patrimoine mondial.

Biens culturels, la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, la Laure des Grottes de Kiev, et le centre historique de Lviv – tout comme le centre historique d’Odessa, depuis janvier dernier – ont été inscrits à la liste au titre d’une situation de “mise en péril” du fait de “menaces graves qui pourraient avoir des effets nuisibles sur ses caractéristiques essentielles”. Ces menaces correspondant au critère de l’Unesco relatif aux “conflits armés venant ou menaçant d’éclater”.

En Ukraine, au moins 248 sites ont été endommagés ou détruits par la guerre, pointe un communiqué de l’Unesco, qui affirme que les dégâts provoqués dans le secteur culturel ont déjà coûté 2,4 milliards d’euros.

“Pour reconstruire mais aussi redresser la situation, il faudra investir 6,9 milliards de dollars dans le secteur culturel en Ukraine ces dix prochaines années”, avait prévenu, en avril dernier, la directrice générale de l’Unesco Audrey Azoulay, en marge d’une réunion de travail avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

À la suite de l’inscription d’Odessa, l’agence onusienne ambitionnait de renforcer ses actions locales, notamment pour préserver et numériser les œuvres, ainsi que pour poursuivre la protection des bâtiments patrimoniaux exposés aux risques de bombardements.

Plusieurs bâtiments du centre d’Odessa ont été touchés en juillet dernier, notamment  la cathédrale de la Transfiguration, fortement endommagée par un bombardement russe.

“Dès les premiers jours de la guerre, l’Unesco a été aux côtés du peuple ukrainien pour aider à protéger la culture, le patrimoine, l’éducation et la sécurité des journalistes. Ce sont les piliers de notre humanité, de nos identités, les piliers du redressement du pays et de la paix”, avait souligné en avril Audrey Azoulay, devant la cathédrale Sainte Sophie de Kiev, considérée par l’Unesco comme “l’un des principaux monuments représentant l’architecture et l’art monumental du début du 11e siècle” en Ukraine.

Symbole de la “nouvelle Constantinople”, capitale de la principauté chrétienne créée au 11e siècle, la Laure de Kiev-Petchersk, a quant à elle contribué à la diffusion de la foi et de la pensée orthodoxes sur le continent européen aux 17e, 18e et 19e siècles.

Concernant les sites naturels en situation de “péril prouvé”, leur inscription à la liste peut par exemple être justifiée par “une grave altération de la beauté naturelle ou de l’intérêt scientifique du bien, résultant, par exemple, d’un établissement humain”, ou encore “un déclin sérieux dans la population des espèces en danger pour la protection desquelles le bien concerné a été juridiquement établi”.

Une situation de “mise en péril” sera quant à elle retenue si le site est confronté à “des menaces graves qui pourraient avoir des effets nuisibles sur ses caractéristiques essentielles”. Parmi ces menaces figurent la modification du statut juridique qui le protégeait, un conflit armé ou encore les “impacts menaçants de facteurs climatiques, géologiques ou d’autres facteurs environnementaux”.

En juillet dernier, les experts de l’Unesco recommandaient l’inscription de Venise à la liste du patrimoine mondial en péril, estimant que les autorités italiennes devaient intensifier leurs efforts pour sécuriser la “Cité des Doges” et la lagune qui l’entoure.

Selon l’agence culturelle des Nations unies, la Sérénissime risque des dommages “irréversibles” en raison d’un certain nombre de problèmes, en particulier le changement climatique et le tourisme de masse, deux fléaux régulièrement évoqués dans ces discussions.

Pousser les États à agir

“La poursuite du développement [de Venise], les impacts du changement climatique et le tourisme de masse menacent de causer des changements irréversibles à la valeur universelle exceptionnelle du bien”, notait alors le Centre du patrimoine mondial, branche de l’Unesco. Parmi les exemples cités par l’agence, l’élévation du niveau de la mer et d’autres “phénomènes météorologiques extrêmes”.

Comme ce fut déjà le cas deux ans auparavant, la “Cité des Doges” y a échappé de peu.

Si le Comité du patrimoine mondial a noté que le site faisait encore face à des défis majeurs et a demandé à l’Italie de continuer à protéger le site, il a cependant renoncé à l’inscrire sur sa liste des sites en péril. “Cette décision tient compte des avancées obtenues ces derniers jours par l’Unesco, notamment la mise en place dès 2024 d’un système de gestion des flux de visiteurs”, a précisé un diplomate à l’AFP.

Alors que le projet était en attente depuis des mois, Venise a finalement décidé de mettre en place dès 2024 une taxe de cinq euros dont auront à s’acquitter les touristes se rendant pour la journée dans la ville. Une mesure ayant pour but de dissuader une partie des visiteurs qui, chaque jour, saturent la ville et ses canaux.

Mais Venise n’est pas sortie d’affaire. “Le Comité a réitéré ses préoccupations concernant les défis importants qu’il reste à relever pour la bonne conservation du site, notamment liée au tourisme de masse, aux projets de développement et au dérèglement climatique. Il estime que des progrès supplémentaires doivent être réalisés”.

Une mission consultative du Centre du patrimoine mondial devra par ailleurs être invitée par l’Italie, qui est tenue de “soumettre un rapport au 1er février 2024, pour que l’état de conservation du site soit à nouveau examiné lors de la 46e session du Comité à l’été 2024″. 

Dernière chance, ou déshonneur

Comme le précise l’Unesco, l’inscription d’un site sur la liste du patrimoine mondial en péril “permet au Comité d’accorder immédiatement au bien menacé une assistance dans le cadre du Fonds du patrimoine mondial”.

À la suite de cela, tout doit être mis en œuvre pour restaurer les valeurs du site, et permettre ainsi, dès que possible, son retrait de la liste.

Une liste qui n’est pas perçue de la même manière par toutes les parties concernées. En effet, si certains pays demandent eux-mêmes l’inscription d’un site pour attirer l’attention internationale et obtenir une assistance compétente pour les résoudre, d’autres, en revanche, souhaitent éviter une telle inscription qu’ils perçoivent comme une infamie, un déshonneur.

Le 15 septembre, alors que l’Unesco venait d’annoncer que Venise échappait au classement, le ministre italien de la Culture Gennaro Sangiulano s’est empressé de saluer “une victoire de l’Italie et du bon sens”.

Une réponse, notamment, à l’ONG écologiste Italia Nostra, dont la présidente de la section vénitienne avait salué le rapport des experts de l’Unesco en faveur du classement de Venise sur la liste du patrimoine en péril. “Enfin !”, avait-elle réagi, espérant qu’une telle inscription contraindrait le gouvernement italien à agir radicalement.

“Le classement d’un site en tant que patrimoine mondial en péril ne doit pas être considéré comme une sanction”, rappelle l’agence onusienne, estimant qu’il s’agit davantage d’un “système établi pour répondre efficacement à des besoins spécifiques de conservation”.

En effet, si un site perd les caractéristiques qui lui ont valu d’être inscrit sur la liste du patrimoine mondial, et que l’État auquel il appartient manque à ses devoirs de protection et de préservation, le Comité peut décider de le retirer de la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Une décision qui, cette fois-ci sans équivoque, entame le prestige du site.

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