INDIFFERENCE Une guerre civile entre des rebelles et l’Etat fédéral ravage le nord de l’Ethiopie depuis deux ans, provoquant des milliers de morts et de déplacés
- Depuis deux ans, le gouvernement fédéral et les rebelles du Tigré s’affrontent dans le nord de l’Ethiopie. Ce conflit qui a provoqué bon nombre de morts et de déplacés ne semble pourtant pas intéresser l’Occident politiquement et médiatiquement.
- Un cessez-le-feu a été signé le 2 novembre par les deux parties sous l’égide de l’Union Africaine et des Etats-Unis. Et paradoxalement c’est cette paix (précaire) qui pourrait enfin attirer notre attention sur le Tigré.
- La trêve pourrait permettre de collecter des chiffres fiables sur ce conflit intestin. « Si les conditions de l’accord sont respectées, les organisations humanitaires vont pouvoir accéder librement à la région. A ce moment-là, il pourra y avoir une évaluation sereine de la situation », indique Roland Marchal, chercheur à Sciences Po et spécialiste de la corne de l’Afrique.
Il aura fallu attendre l’arrêt des combats pour enfin entendre parler du conflit. Une guerre « ignorée », considérée comme étant l’une des plus meurtrières au monde, selon Amnesty International, fait rage depuis deux ans en Ethiopie. Des morts par centaines de milliers dans le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, une catastrophe humanitaire, une médiation orchestrée par les Etats-Unis, une famine, etc. Autant d’infos qui défilent normalement en rouge sur les bandeaux d’information de nos chaînes d’actu en continu. Pas cette fois.
Paradoxalement, c’est la signature d’un accord entre les deux camps, le gouvernement fédéral dirigé par Abiy Ahmed, lauréat du prix Nobel de la paix en 2019, et le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), une région au nord du pays, qui pourrait mettre la lumière sur cette guerre. La trêve pourrait enfin permettre de collecter des chiffres fiables sur ce conflit intestin. « Si les conditions de l’accord sont respectées, les organisations humanitaires vont pouvoir accéder librement à la région. A ce moment-là, il pourra y avoir une évaluation sereine de la situation, indique Roland Marchal, chercheur à Sciences Po et spécialiste de la corne de l’Afrique. Beaucoup de chiffres qui circulent sont liés à la propagande des différents camps. »
« La fameuse loi du mort au kilomètre »
Mais ce qu’il faut avant tout savoir, c’est que le Tigré, région de six à sept millions d’habitants située au nord de l’Ethiopie et frontalière de l’Erythrée, est interdit aux journalistes. Difficile alors de faire les gros titres avec cette guerre civile pourtant extrêmement meurtrière. « La communication a été occultée depuis le début du conflit. Le Tigré est en état de siège depuis deux ans », confie Patrick Ferras, docteur en géopolitique et spécialiste de l’Ethiopie. Sans compter que, médiatiquement et politiquement, la France n’est pas encline à se pencher sur l’actualité éthiopienne… qui ne fait pas partie de sa zone d’influence sur le continent.
En Afrique, la France n’a une connaissance et une sensibilité qu’à l’actualité de ces anciennes colonies. L’Ethiopie fait partie de sa zone aveugle. On compte aussi peu d’immigration de cette région en France. Au niveau médiatique, il y a aussi une sorte de concurrence des foyers d’actualité chaude, avec le Covid-19, l’Ukraine, et le Mali, qui est historiquement une zone d’intérêt français. Plusieurs facteurs se combinent : la fameuse loi du mort au kilomètre, mais aussi l’approche de l’Etat et la hiérarchie journalistique », analyse Jean-Marie Charon, sociologue des médias.
Au début des années 2000, le conflit au Darfour, situé au Soudan, pays voisin de l’Ethiopie, avait pourtant suscité une vive émotion en France. « Ça a mis du temps avant que la communauté internationale ne s’en empare et qu’il y ait de l’implication, tempère Roland Marchal, qui met aussi en avant la complexité de la guerre au Tigré. Le conflit débute en 2002, et la communauté internationale s’y intéresse à partir de 2004. »
« Emmanuel Macron n’a prononcé qu’une fois le mot Ethiopie »
Deux ans, soit le temps qu’a duré la guerre entre le TPLF et le gouvernement éthiopien. Et l’accord d’arrêt des combats signé mercredi à Pretoria sous l’égide de l’Union africaine en présence des Américains, est précaire. « Ce qui n’est pas prévu, c’est le désarmement des milices Afar et Amhara qui ont été des supplétifs de l’armée éthiopienne. Les Tigréens ont pratiquement tout perdu, ils se retirent avec rien, et n’obtiennent que le rétablissement des services et aide humanitaire, détaille Patrick Ferras. Ils ont perdu en crédibilité politique. »
Dans une déclaration du ministère des Affaires étrangères, la France a salué « la sagesse et le courage » des deux parties après la signature de l’accord. « Je comprends que la guerre en Ukraine soit plus près de nos frontières. Mais, lors de sa conférence aux ambassadeurs en septembre, Emmanuel Macron n’a prononcé qu’une fois le mot Ethiopie dans son discours. Quand on est le pays des droits de l’Homme, on doit s’intéresser à la situation », tranche Patrick Ferras. D’autant que le cessez-le-feu pourrait vite capoter. Deux jours après la signature, les rebelles du Tigré dénoncent déjà un bombardement de la partie adverse. De quoi pousser le monde à s’intéresser au conflit ?