À quelques jours d’un sommet important, l’Europe est toujours très polarisée sur de nombreux sujets, notamment sur le soutien budgétaire à l’Ukraine de 50 milliards d’euros pour les quatre prochaines années, et l’ouverture de ses négociations d’adhésion. Notre invitée Manon Aubry, députée européenne française et coprésidente du groupe de La Gauche au Parlement européen, se dit favorable à toute aide, mais pas à l’élargissement.
Manon Aubry appelle à un cessez-le-feu dans la guerre qui oppose Israël au Hamas depuis le 7 octobre dernier, et rejette toute accusation d’antisémitisme de son parti, LFI, pour lequel elle sera tête de liste lors des élections européennes de juin 2024. Son projet d’alliance avec les autres partis de gauche a échoué.
“L’UE doit prendre une initiative diplomatique”
“Le devoir de l’Union européenne est de continuer le soutien financier, logistique, humanitaire et militaire à l’Ukraine”, assène Manon Aubry. Au sein de son groupe au Parlement, dont certains des partis, comme Podemosen Espagne ou Syriza en Grèce, votent contre un soutien militaire : “C’est normal qu’il y ait des débats parce qu’à partir du moment où vous donnez non plus seulement des armes de défense, comme cela a été le cas au début du conflit, mais des armes d’attaque, vous êtes cobelligérant à un conflit. (…) Et notre camp politique a toujours été le camp de la paix. C’est pour cela que depuis le début du conflit, nous appelons l’UE à prendre une initiative diplomatique (…) avec comme préalable le fait que Vladimir Poutine se retire de l’Ukraine”. L’adhésion de l’Ukraine au club des 27 est pour elle une autre question : “Qui pense sérieusement qu’on peut faire entrer un pays en guerre au sein de l’Union européenne ? Ce n’est absolument pas réaliste”. “Les Ukrainiens ont besoin d’un soutien financier, d’un soutien militaire, et ça, il n’y a pas besoin d’être dans l’Union européenne pour l’obtenir”, ajoute-t-elle.
Le “chantage” de Viktor Orban
Manon Aubry se dissocie du “chantage” exercé par le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui menace de bloquer au prochain sommet toutes les décisions relatives à l’Ukraine, parce qu’ambigu sur la Russie et voulant récupérer les fonds européens gelés à cause de ses dérives autocratiques. Manon Aubry y voit la preuve des “échecs du précédent élargissement. (…) Parce que quand l’Union européenne s’est élargie à dix États supplémentaires, à aucun moment n’a été posée la question des conditions d’harmonisation en matières sociale, fiscale, écologique et démocratique.”
Elle dénonce le dumping social qui s’en serait suivi. “En France, par exemple, plus de la moitié des délocalisations se déroulent au sein même de l’Union européenne, non plus en dehors. Et je le dis très clairement aujourd’hui, le salaire minimum en Ukraine est de 140 € et je ne suis pas prête à ce qu’on provoque un massacre social à la fois dans l’ouest de l’Union européenne avec une délocalisation massive, mais aussi un massacre social dans ces pays candidats (…) Et ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas collaborer avec eux, qu’on ne peut pas les aider”.
Guerre Israël-Hamas : “L’UE doit appeler à un cessez-le-feu immédiat”
Pour Manon Aubry, “dans ce contexte géopolitique très tendu, l’Union européenne doit avoir une voix singulière, unique, non-alignée : ni la Russie, ni la Chine, ni les États-Unis” et notamment dans le cadre du conflit qui oppose Israël au Hamas : “l’Union européenne doit appeler à un cessez-le-feu immédiat. (…) Elle devrait avoir de l’impact et de l’emprise (…) mais c’est une voix complètement inaudible, faite de contradictions”, regrette-t-elle.
Le 8 octobre, le commissaire européen hongrois, Oliver Varhelyi, a menacé de suspendre l’aide humanitaire de l’UE à Gaza. “Ça n’a pas été fait”, en convient-elle. Avant de poursuivre : “Mais comment un commissaire peut-il dire ça ? La présidente du Parlement et la présidente de la Commission européenne ont parlé de soutien inconditionnel au gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahu. Quelle est concrètement aujourd’hui la position de l’Union européenne : ce soutien à des actes de guerre, à des crimes de guerre, à des crimes contre l’humanité, ou la position de Josep Borrell, plus mesuré, qui lui parle de la situation humanitaire catastrophique et avance petit à petit sur un cessez-le-feu ? Les Nations unies aujourd’hui parlent de risque de génocide, de nettoyage ethnique. C’est une apocalypse humanitaire.”
LFI rejette les accusations d’antisémitisme
Et la France dans tout ça ? “Quelle que soit la couleur politique, la diplomatie française a toujours eu une voix singulière sur la scène internationale, qui était de rechercher ce chemin sinueux de la paix entre Israël et Palestine. La France a toujours défendu une solution à deux États sur la base des frontières de 1967”, explique Manon Aubry. Position que son parti, La France Insoumise, affirme soutenir. Quid des ambiguïtés dans les discours et les actes de Jean-Luc Mélenchon sur l’antisémitisme ? Manon Aubry réfute : “À quel moment Jean-Luc Mélenchon a une position antisémite ? (…) nous avons condamné dès la première heure, la première seconde, les attaques barbares du Hamas et nous disons très clairement que le droit d’Israël à la défense n’est pas le droit à la vengeance (…) Depuis le début, nous avons condamné l’ensemble des actes antisémites dans notre pays (…) et nous disons également qu’on ne protège pas les personnes de confession juive en pointant du doigt les personnes de confession musulmane, comme le fait l’extrême droite”.
Le 12 novembre, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ont appelé à une marche contre l’antisémitisme. La France Insoumise n’y a pas participé, contrairement aux autres partis français, dont le Rassemblement national. “On ne marche pas contre l’antisémitisme avec des antisémites”, explique Manon Aubry. “Le Rassemblement national a été créé par des anciens Waffen SS, qui sont des antisémites, des nazis. Ils sont les héritiers des nazis”, selon elle.
Élections européennes : “Mon objectif est de dépasser les 10 %”
Comme en 2019, Manon Aubry est pressentie pour être tête de liste de La France Insoumise pour les élections européennes de 2024. Dans les derniers sondages, son parti, à 8 %, gagne deux points par rapport au dernier scrutin, mais reste loin derrière le Rassemblement national, crédité de 28 % d’intentions de vote, et qui devance le parti présidentiel Renaissance à 19 %. “Mon objectif est de dépasser les 10 % et d’être ainsi en tête de la gauche”, exprime-t-elle. Car l’eurodéputée rêvait d’une liste commune avec socialistes et Verts français sous la bannière Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) “pour être en mesure de basculer en tête de cette élection européenne devant l’extrême droite (…) qui essaie de se faire un vernis tout propre (…) alors qu’il y a à peine quelques jours, Jordan Bardella était à Florence, avec tout ce qui se fait de plus facho dans la sphère d’extrême droite européenne”.
Le Parti Les Écologistes a annoncé en une liste autonome menée par Marie Toussaint. De son côté, l’ancien président socialiste français François Hollande a affiché son soutien à une liste portée par Raphaël Glucksmann. Manon Aubry le regrette : “À eux de dire en quoi ils sont aujourd’hui en désaccord avec ce programme de la Nupes. Il n’est pas mort et je vais le porter : face à l’austérité, il faut mettre à contribution les plus riches de nos pays, au moment où le coût de la vie explose pour l’ensemble des Européens, face au libre-échange, dénoncer les grands Traité avec le Mercosur et la Nouvelle-Zélande, il faut davantage de protectionnisme et protéger nos industries et face au tout marché, il faut protéger des biens communs de leur libéralisation”. La campagne est lancée !