Friday, November 22, 2024
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Pieyre-Alexandre Anglade : L’élargissement Est Le Chemin Pour Renforcer L’Indépendance De L’UE


Le président de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, Pieyre-Alexandre Anglade, considère que l’élargissement de l’UE à l’Ukraine et la Moldavie est aujourd’hui acquis, mais exige une réforme des institutions européennes. Il revient également sur le contexte politique français, entre la montée de l’extrême droite et la difficulté à dialoguer avec une partie de la gauche. Entretien.

Pieyre-Alexandre Anglade est président de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale depuis 2022 et député Renaissance des Français de l’étranger (circonscription Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) depuis 2017.

EURACTIV France. La France a longtemps été peu favorable à l’élargissement de l’Union européenne. Cela a changé sous la présidence d’Emmanuel Macron. Qu’est-ce qui justifie ce revirement ?

Pieyre-Alexandre Anglade. Il n’y a pas de revirement, c’est d’ailleurs pendant la PFUE que le statut de candidat a été accordé à l’Ukraine et à la Moldavie Le contexte géopolitique a radicalement évolué depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la France le prend en compte.

Désormais, nous devons faire face à des tentatives d’influence de la Russie et de la Chine. L’intégration progressive d’États européens permettra de renforcer l’indépendance et la souveraineté de l’UE.

Quelle est la perspective pour les pays candidats aujourd’hui, tels que l’Ukraine et la Moldavie ?

L’Ukraine et la Moldavie sont déjà membres de cœur de la famille européenne. Leur adhésion doit suivre le processus prévu, nous devons désormais voir si nous sommes capables d’ouvrir des négociations d’ici la fin de l’année.

À quelles conditions l’Ukraine peut-elle adhérer à l’UE ?

Il n’y a pas d’adhésion au rabais. L’Ukraine doit continuer de mener les réformes qu’elle mène déjà — en temps de guerre, ce qui est remarquable.

En revanche, si nous voulons être capables de bien intégrer les différents pays candidats, l’UE doit être capable de se réformer : le passage de l’unanimité à la majorité qualifiée, le renforcement du rôle du Parlement européen et de ses prérogatives, dont le droit d’initiative législative.

Faut-il une Europe avec plusieurs degrés d’intégration différents, par cercles concentriques ?

Il n’y aura pas d’États membres de second rang, il n’y a qu’une seule Europe. Mais une Europe à plus de 30 États membres exige de nouveaux formats, comme cela existe déjà dans différents domaines comme la zone euro ou l’espace Schengen.

Nous devons aussi repenser nos grandes politiques historiques, politique agricole commune, marché intérieur, ou encore politique de cohésion, pour les mettre en adéquation avec la finalité de l’Europe que nous voulons.

Une révolution dans le fonctionnement des institutions européennes est nécessaire pour ne pas se retrouver paralysés dans la prise de décision et in fine sous la pression des grands blocs extra-européens.

Face à cette pression de puissances étrangères, les instruments nécessaires pour protéger nos intérêts économiques, industriels, donc de souveraineté, sont-ils suffisants ?

Lors de la crise de 2008-2009, des pans entiers de l’économie européenne ont été rachetés par des puissances étrangères, notamment la Chine avec le port du Pirée, en Grèce.

L’Europe est sortie de la naïveté à partir de la crise de la Covid-19 : nous avons été capables d’emprunter en commun et d’investir, en créant une sorte de bouclier européen contre les prédations, en ayant une réponse rapide et robuste à l’IRA américain. La souveraineté européenne que nous bâtissons est une révolution intellectuelle et politique.

L’UE est aussi influencée par les relations entre États membres. Comment qualifiez-vous la relation entre France et Allemagne ?

La relation franco-allemande est nécessaire, indépendamment des différences d’appréciation qui peuvent exister. Sans elle, il n’y a pas d’Europe forte.

Certes, il y a des points sur lesquels, ponctuellement, nous ne sommes pas d’accord, comme sur le nucléaire. Mais l’idée selon laquelle il y aurait des divergences profondes entre Paris et Berlin est fausse. La nourrir revient à jouer contre les intérêts français, allemands et européens.

Prenez la défense par exemple : à la suite de la guerre en Ukraine, l’Allemagne est en train d’opérer une révolution politique nécessaire qui correspond à la vision développée par le président Emmanuel Macron.

En 2019, le président Emmanuel Macron fustigeait la « mort cérébrale » de l’OTAN. Avec la guerre en Ukraine, il a opéré un revirement. Reconnaissez-vous qu’il s’était trompé de diagnostic ?

À l’époque, des dysfonctionnements internes paralysaient les prises de décision. Le président a parlé de la guerre en Ukraine comme « le pire des électrochocs » : elle a donné une nouvelle légitimité à l’OTAN et a ravivé son utilité.

L’alliance atlantique reste le pilier de la défense européenne ?

L’OTAN est un instrument de la sécurité de l’Europe, mais ne peut pas être le seul. Un pilier européen en son sein est absolument fondamental.

Nous devons être capables de décider et de mener par nous-mêmes des opérations militaires. Cela passe évidemment par la défense européenne, qui a beaucoup progressé depuis 2017 avec le Fonds européen de défense, la Facilité européenne pour la paix et la coopération structurée permanente.

Nous devons développer une véritable base industrielle et technologique de défense. On ne peut pas se dire indépendant et acheter des armements outre-Atlantique, car nous sommes revenus dans un siècle incertain. Pour l’Europe, c’est une question de souveraineté et de sortie de notre état de minorité géopolitique.

Le président français a aussi parlé de « garanties de sécurité » pour l’Ukraine. En quoi doivent-elles consister  ?

Il faut d’abord poursuivre les livraisons d’armes dans le temps, y compris les avions de combat, quand les États l’auront décidé, car la guerre peut durer.

Ensuite, l’Ukraine a besoin de perspectives institutionnelles et politiques, au niveau de l’OTAN et de son intégration à l’UE.

Nous devons aussi nous assurer que la Russie ne soit plus en mesure de déstabiliser à nouveau le continent européen. Cela exige, par exemple, que l’on construise une défense antiaérienne proprement européenne.

En France, les livraisons d’armes à l’Ukraine sont décidées par le président. Regrettez-vous, en tant que président d’une commission parlementaire, que ces sujets ne fassent pas l’objet de débats au Parlement  ?

D’abord, nous avons débattu au début de la guerre, pour condamner l’agression, puis lors du vote de différentes résolutions affirmant le soutien à l’Ukraine.

Ensuite, chaque pays a son fonctionnement institutionnel. En France, les affaires étrangères, européennes et de défense sont des prérogatives du président de la République. Les Français l’ont réélu en connaissant sa très grande implication sur le sujet. Au Parlement, la majorité est en soutien de son action.

En revanche, la manière dont des responsables politiques nationaux se sont défaussés au sujet de l’Ukraine m’interpelle. Or, il y a des nuances dans la vie politique nationale, sur le projet européen ou sur le soutien à l’Ukraine. Les Français doivent connaître ces nuances.

Par exemple  ?

Marine Le Pen se dissimule sur l’Ukraine. Elle ne veut pas que nous livrions des armes à l’Ukraine et appelle à stopper les sanctions. Elle est le relais complaisant de la propagande russe en France, qui le lui rend bien.

Selon la gauche, le camp présidentiel serait le responsable de la montée de l’extrême droite en France, le RN ayant fortement progressé sous la présidence d’Emmanuel Macron. Que répondez-vous à ces accusations  ?

N’ayons pas la mémoire courte : quand Emmanuel Macron a lancé En Marche en 2016, les commentateurs disaient que l’objectif pour l’ensemble des responsables politiques étaient d’arriver deuxième, derrière Marine Le Pen. On connaît la suite, c’est grâce au président de la République que l’extrême droite a été battue en 2017 et 2022

Qui plus est, un courant nationaliste et identitaire, puissant, traverse toutes les démocraties du monde. La singularité de la France réside dans la difficulté à trouver des partenaires responsables au sein des partis de gouvernement. J’aurais aimé que tous les partis de gouvernement saisissent de manière plus sérieuse nos mains tendues pour construire des textes ensemble. Je ne désespère pas pour la suite.

L’analyse de certains à gauche est donc profondément malhonnête. Lors de l’élection présidentielle, les Français ont eu le choix entre de nombreux candidats. À la fin, ils ont élu Emmanuel Macron face à l’extrême droite.

Au contraire, la défiance exacerbée envers le gouvernement, alimentée par la gauche, renforce Marine Le Pen. Le comportement de La France insoumise, contestataire, et qui parfois encourage la violence, est une fabrique de votes pour le Rassemblement national.

La NUPES vous reproche justement de passer plus de temps à l’attaquer qu’à vous en prendre au RN.

Nous sommes obligés de répondre à leurs attaques virulentes envers la majorité. À côté de cela, le RN est dans une stratégie de dissimulation et d’évitement. Il est notre ennemi commun, ne le laissons pas prospérer tranquillement.

Quel regard portez-vous sur l’alliance éventuelle de la gauche aux Européennes, qui fera donc face à votre camp ?

Le PS et EELV défendent le projet européen et s’allient avec La France insoumise, dont le mot d’ordre est la désobéissance aux traités européens… Ce n’est rien d’autre qu’une forme de « Frexit ».

Une liste unique de la NUPES aux Européennes signifie la disparition des pro-européens à gauche. Ce ne serait pas une bonne nouvelle que de voir le camp des pro-européens, de tout bord, se rétrécir pour des petits calculs politiciens.

Mais alors quelles sont, pour un électorat de centre-gauche, les alternatives au camp centriste ?

Les Français de centre-gauche attachés à l’Europe ne sont pas orphelins, ils connaissent notre engagement européen. Nous l’avons fait en 2019 en ralliant des sensibilités politiques différentes, des écologistes comme Pascal Canfin, des personnalités de centre droit comme Nathalie Loiseau, des marcheurs de la première heure comme Stéphane Séjourné, qui continue le dépassement au Parlement européen comme président de Renew.

A gauche, l’alliance des partis de gouvernement que sont le Parti socialiste et Europe Ecologie — Les Verts avec La France insoumise est un problème politique pour les électeurs de centre-gauche.

Pour un accord électoral, ils sacrifient une partie de l’avenir de la gauche et les idées auxquelles ils sont attachés. Cela affaiblit l’offre politique et démocratique dans notre pays.

La Source: Euractiv

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