Viktor Orban a été catégorique à plusieurs reprises en enjoignant, par écrit, à Charles Michel de retirer l’Ukraine de l’ordre du jour du sommet européen des 14 et 15 décembre. Pas question, dit-il, d’adopter l’aide financière à l’Ukraine ni d’ouvrir les négociations d’adhésion avec Kiev en mars comme le propose la Commission européenne aux 27. Les Européens n’ont jamais été aussi profondément plongés dans le brouillard à quelques jours d’un sommet épineux. Le double veto brandi par le Premier ministre hongrois a-t-il, en soi, vidé de son sens ce sommet avant même qu’il ait lieu ?
En fait, le veto de Viktor Orban peut être partiellement contourné par les autres États membres, du moins sur le volet financier du soutien à l’Ukraine. La Commission européenne avait proposé une aide de 50 milliards d’euros sur quatre ans, dont 17 milliards de subventions, le reste en prêts. Ce soutien devait passer par le budget européen. Et dans ce cas, en effet, l’unanimité est requise.
Un contournement à la majorité qualifiée
Une solution de repli serait de voter une nouvelle assistance macrofinancière annuelle. Le Conseil avait déjà approuvé, en décembre 2022, une aide de 18 milliards d’euros pour l’année 2023. « On peut voter ce type d’aide pour un an à la majorité qualifiée. Mais ce n’est pas sans inconvénients : il ne peut s’agir que de prêts. Le veto d’Orban serait contourné, mais les Ukrainiens perdraient les subventions promises et la visibilité sur plusieurs années. » Si Orban persiste dans son refus, cette solution, moins satisfaisante, pourrait fonctionner.à lire aussi EXCLUSIF. Viktor Orban : « Si vous laissez entrer l’Ukraine dans notre système agricole européen, elle le détruira »En revanche, il n’est pas possible d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Ukraine sans l’unanimité. Or, sur ce terrain, Viktor Orban ne manque pas d’arguments. Quand les 27 décident, en juin 2022, d’accorder à l’Ukraine le statut de candidat, il était convenu que Kiev remplisse sept conditions avant l’ouverture des négociations. Parmi celles-ci, le respect des droits des minorités, qui ont été mises à mal en Ukraine par une législation contestée. Viktor Orban est particulièrement sensible à ce que l’Ukraine rétablisse les droits de la minorité hongroise de Transcarpathie. Il exige le retour à la situation de 2015.
L’Ukraine ne remplit pas les sept conditions préalables
Or, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, constatait, en novembre, que les sept conditions préalables n’étaient pas entièrement remplies par l’Ukraine. Cependant, elle a tout de même proposé aux chefs d’État et de gouvernement de valider, lors du Conseil des 14 et 15 décembre, l’ouverture des négociations avec Kiev. Avec un bémol : le signal symbolique positif serait envoyé à Kiev dès le mois de décembre 2023, mais l’ouverture réelle des négociations serait retardée à mars 2024, le temps que l’Ukraine achève de remplir les sept conditions requises. Elle suggère, en somme, d’attendre le printemps pour fixer le « cadre » de cette future négociation.
Cet accommodement politique vise à ne pas désespérer Kiev au moment où la guerre piétine dans la raspoutitsa, où l’attention de l’opinion publique occidentale se détourne de l’Est et où Vladimir Poutine entrevoit une « fatigue » des Européens qui lui serait profitable… Pour Viktor Orban, la chose est inacceptable. Pour lui, la question de la minorité magyare est cruciale. En outre, il peut s’appuyer sur la Commission de Venise (un organe consultatif du Conseil de l’Europe sur le droit et la démocratie), qui confirme dans son avis de juin 2023 que les droits des minorités en Ukraine ne sont pas rétablis. La Commission de Venise recommande à l’Ukraine de les rétablir pour toutes les minorités sur le territoire ukrainien, non seulement les Hongrois mais aussi la population russophone. C’est sur ce deuxième point que l’Ukraine grince…
Les Balkans, otages d’une difficile négociation
Le Premier ministre hongrois peut tout à fait bloquer l’ouverture des négociations avec Kiev. Mais les Européens peuvent aussi renverser le bras de fer. Puisque Viktor Orban tient absolument à l’élargissement aux pays des Balkans occidentaux, les Européens pourraient aussi jouer sur ce tableau. Pas d’Ukraine, pas de Balkans occidentaux. Tout le monde se tient par la barbichette : pas de budget pour l’Ukraine, pas de budget pour les Balkans occidentaux.
Or, sur les 6 milliards d’euros promis par la Commission aux Balkans, 2 milliards d’euros devaient être versés sous forme de subventions. Sans approbation du budget européen, les subventions tombent aussi bien pour les Ukrainiens que pour les Serbes, les grands amis d’Orban… Est-ce vraiment de nature à infléchir la détermination du Premier ministre hongrois ? C’est tout l’enjeu des discussions diplomatiques des jours à venir. Le sommet européen qui débutera le 14 décembre sera précédé, la veille, le mercredi 13 décembre, par un sommet avec les Balkans. Malheureux calendrier car les 27 ne pourront rien annoncer de concret aux dirigeants des Balkans occidentaux tant qu’ils n’auront pas réglé le différend avec Orban dans le sommet qui suit. Le risque n’est pas mince de voir les dirigeants albanais, serbe, monténégrins, bosniaque, kosovar et nord-macédonien faire le déplacement à Bruxelles et repartir bredouilles autant que fâchés…