Saturday, October 19, 2024
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Russie: Ces Femmes Qui Veulent Le Retour de Leurs Hommes du Front

C’est une protestation sourde, mais réelle, dans une Russie verrouillée. Des cris qui sont parvenus, c’est rarissime, à se faire entendre. On n’en a entendu parler que le mois dernier, mais la contestation contre ce que certaines ont appelé « la mobilisation infinie » a commencé ce printemps, dit Olga, 25 ans (le prénom a été changé, et aucun autre détail biographique ne peut être précisé pour des raisons évidentes de sécurité), une compagne de soldat mobilisé que RFI a réussi à joindre après des semaines de tentatives d’approche. 

Elle raconte : « On a écrit en masse des lettres aux députés, on a tenté toutes les interactions possibles avec les autorités. Des filles ont organisé un groupe de réflexion avec des représentants du gouvernement, des députés, et à ce moment-là, à certaines, il a été dit “si vous êtes constructives, si vous aidez le ministère de la Défense à recruter, alors seulement, peut-être, vos hommes vont rentrer”. C’était ça leur logique. »

« Quand on est touché personnellement, les yeux s’ouvrent encore plus »

Officiellement, aucune de ces femmes ne conteste la décision de Vladimir Poutine d’envoyer ses soldats en Ukraine. Pas Olga : « J’ai toujours été contre », nous confie-t-elle sur une application de messagerie sécurisée. « Mais évidemment, quand on est touché personnellement, les yeux s’ouvrent encore plus ; surtout quand ce ne sont plus les soldats de métiers qui se battent, mais la population civile qui est appelée, quand on apprend toutes sortes de détails choquants sur ce qui se passe là-bas ». Olga a bien essayé il y a quatorze mois de dissuader son compagnon de répondre à l’appel, de fuir par exemple au Kazakhstan : « Il n’est pas allé se battre pour l’argent », précise-t-elle, mais « parce que, comme tout le monde, il était terrifié à l’idée de possibles poursuites criminelles. Ils avaient tous peur de devoir quitter leur travail, se cacher quelque part, sans savoir combien de temps cela allait durer, s’il y aurait à la fin une amnistie ou pas. Comment allaient se comporter les tribunaux ? rien n’était clair. De toute façon, il avait déjà reçu sa convocation. »

Mères, sœurs, épouses ou compagnes, toutes leurs tentatives de se réunir cet automne ont été refusées ou annulées par les autorités, sauf à Novossibirsk où la réunion a été fermée à la presse et où rien n’a filtré d’échanges qui ont été, semble-t-il, très encadrés.

Le 7 novembre dernier, certaines d’entre elles sont quand même allées jusqu’à se présenter à un rassemblement en plein air du Parti communiste, à Moscou, avec des pancartes. Aucun des messages ne contestait ce que le pouvoir appelle toujours « une opération spéciale », mais appelait simplement au retour des hommes. Comme presque toujours en Russie, il a fallu à peine quelques minutes pour que la police intervienne et fasse cesser le mouvement ; sans arrestation en revanche. Le communiste Guennadi Ziouganov leur a alors bien promis une aide, mais a aussi lancé : « Si les nazis gagnent, ni vous ni moi ne serons plus en vie pour discuter de cela. »

La différence des statuts

La colère contre la mobilisation est également aiguisée, depuis cet automne, par la différence de statut avec les prisonniers enrôlés dans l’armée : eux signent des contrats, et à l’issue de cet engagement, ils peuvent rentrer dans leurs foyers. « Bien sûr, ils ont beaucoup moins de chance de rester vivants, juge Olga, mais on relâche désormais des cannibales et des violeurs. »

Ces protestations sont impossibles à quantifier, mais le pouvoir cherche à les étouffer par tous les moyens possibles. Avec quelques maigres incitations comme des permissions, mais en ayant surtout recours à la coercition : « Pourquoi est-ce que cette interview doit être anonyme s’insurge Olga ? Si tout allait bien, je pourrais vous parler ouvertement ; mais chacune d’entre nous est aujourd’hui sous une pression immense, avec, y compris pour les plus actives d’entre nous, le risque d’une inculpation criminelle. Nos hommes aussi sont convoqués. Sous la menace on leur ordonne de dire à leurs femmes de la fermer. »

Pour elles, se multiplient les appels de la police, les convocations au commissariat pour une « conversation », les enquêtes ostensibles de voisinage. Infiltrés sur leurs chaînes Telegram, les « trolls » sont eux, déchaînés. « Les patriotes Z (ndlr : les militants pro-guerre) écrivent que nous sommes toutes des prostituées, des traîtres à notre pays, ils écrivent ouvertement qu’il faut nous pendre, nous rouler dessus, qu’ils trouveront chacune d’entre nous et nous tuerons. Quant aux libéraux, ils nous demandent où nous étions jusqu’ici, ce que nous avons fait quand Boris Nemtsov a été assassiné (opposant tué en 2015 à quelques pas du Kremlin, ndlr), pour qui nous avons voté jusqu’ici. Je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai réussi à bien dormir, mais ça fait très longtemps. »

Boulets rouges

Si, officiellement, certains commentateurs et élus déclarent « comprendre » le mouvement, d’autres tirent dessus à boulets rouges. Propagandiste vedette de la télévision d’état, Vladimir Soloviev y voit ainsi « un outil de destruction créé par les services secrets étrangers. »

Le pouvoir a, en tout cas, jusqu’ici, fermé la porte à ces revendications : les hommes mobilisés resteront jusqu’à la fin des combats, ont répété le Kremlin et le ministère de la Défense. Vladimir Poutine a aussi, il y a huit jours, fixé un objectif de 15% d’augmentation des effectifs de l’armée. Olga espère encore être entendue par le chef de l’État. Le président russe s’adresse jeudi prochain au pays, lors d’une conférence de presse. Il en profitera aussi pour répondre à des appels de citoyens qui seront dûment sélectionnés en amont.

RFI

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